«Las, le journalisme est devenu ce moyen d’expression dont l’expression, si l’on n’y prend garde, risque d’être rognée, puis effacée» : Najib Refaïf, journaliste et écrivain

Journaliste culturel et chroniqueur de renom, Najib Refaïf revient dans son nouveau récit « Carte de Presse N° 78 » (Editions Virgule) sur sa carrière journalistique. Une occasion d’or pour l’interpeller sur l’évolution de la pratique journalistique au Maroc.

Le Media : Le journalisme est ce qui reste quand on a tout oublié ?

Najib Refaïf : Le journalisme est plutôt ce qui reste lorsqu’on n’a pas oublié de recouper les informations auprès de sources crédibles, autorisées ou de bonne foi. C’est du moins ce qu’on apprend dans les écoles de journalisme. Le journalisme est ce qui demeure lorsqu’on n’oublie pas que le but, en définitive, est de chercher ce qui est « vrai », ce qui est « utile ». Il enquête contre ce qui est faux. Il est pour ce qui sert et non pour ce qui nuit. Mais comme disait Hugo, « Nous cherchons ce qui sert/ Vous cherchez ce qui nuit/ Chacun a sa façon de regarder la nuit ».

Cela dit, tout journaliste qui se respecte devrait ressentir un certain vertige devant les mots qu’il aligne sur un fait, un événement qu’il relate. Il devrait se poser cette question devant le flux incessant des nouvelles : Dans quelle mesure ce que j’écris et dis est utile pour les autres ? Car un journaliste, contrairement au poète et au romancier, écrit d’abord pour les autres. C’est peut-être une vision naïve, voire utopique, mais c’est la mienne.

Etre journaliste aujourd’hui ?

Aujourd’hui, le journalisme, nous dit-on, devrait changer parce que les moyens de communiquer ont évolué. Vaste débat ! Mais ce n’est pas parce que les moyens d’expression ont changé que l’expression devrait faire de même. On a instauré une espèce de « communication obligatoire » que la technologie permet, facilite et, soi-disant, « démocratise ». Tant et si bien (ou si mal) que cette communication est devenue le pain quotidien. Et le journalisme, à peine entré chez nous dans une ère plus libérale, s’est engouffré corps et âme, avec pertes et fracas dans ce « tout communicationnel ». Tout un chacun se dit, ou se veut, porteur et colporteur d’informations qui, très souvent, ne sont que du bruit et de la fureur. Un « tout-à-l’égo » vaseux et nombriliste. Quant au journaliste, dit professionnel, il est perdu, égaré entre cette nouvelle et intempestive temporalité de la communication forcée et le temps serein, réflexif et, donc, difficile du véritable journalisme. Voilà pourquoi, chez nous, plus qu’ailleurs, le journalisme a été rattrapé, puis souvent dépassé, par la prodigieuse explosion de la technologie. Las, le journalisme est devenu ce moyen d’expression dont l’expression, si l’on n’y prend garde, risque d’être rognée, puis effacée.

Le journalisme culturel idéal ?

A mon avis, comme pour l’amour, il n’y a pas de journalisme culturel idéal, il n’y a que des preuves du journalisme culturel. Tout ce qui est idéal est en fait idéel car c’est l’idée qu’on s’en fait qui importe. S’agissant de la culture, dans le sens d’activités culturelles (cinéma, théâtre, musique, arts, littérature…), il ne s’agit pas de l’imposer verticalement par le haut et d’exiger de la culture partout et pour tous. La culture est faite de rêves et le verbe rêver ne se met pas à l’impératif. La culture ne supporte pas la verticalité. Elle est diagonale (comme la Diagonale du Fou dans le jeu d’échec) afin de traverser les contenus ; elle est horizontale parce qu’elle tend justement vers des horizons et les ouvre.      

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