La Com d’après? Noureddine Ayouch, Fondateur Shem’s: «Les acteurs de la communication ont une responsabilité à assumer»

Le Media : Les leçons de la crise Covid ?

Noureddine Ayouch : Les communicants, qu’ils soient annonceurs ou professionnels de la communication, n’ont pas réagi de la même manière à la crise Covid qui les a pris de court. Si les annonceurs ont été, pour beaucoup d’entre eux, contraints de suspendre toute forme de communication pour des questions budgétaires et avant tout à cause de la perte de leurs clients, les agences de communication ont difficilement digéré cette décision. Pour les professionnels de la com’, c’est dans les moments difficiles qu’il ne faut pas perdre le contact avec les consommateurs. Certes, certains annonceurs, comme les télécoms et le secteur de l’alimentaire, ont continué à investir dans la publicité. Certains ont même vu leur chiffre d’affaires augmenter substantiellement avec la ruée des consommateurs vers certains produits et marques. Mais la raison essentielle de la suppression ou de la réduction drastique des investissements dans la communication est due aux conséquences désastreuses de la baisse du chiffre d’affaires, en raison de la fermeture de nombreux points de vente, lors du confinement et de la diminution conséquente de l’acte d’achat dans de nombreux secteurs comme l’automobile, les produits de beauté, le tourisme, la décoration… c’est à dire toutes les marques qui ne font pas partie des produits de première nécessité, celles dont on peut différer l’achat.

Jamais les communicants n’ont autant parlé de ciblage précis, d’économie d’échelle, de projection sur les ventes et de retour sur investissement immédiat par rapport aux moyens engagés. Chaque personne visée par la communication doit immédiatement se transformer en un consommateur. Les investissements publicitaires boudent ainsi les grands médias classiques et se concentrent essentiellement sur le digital, celui-ci permettant un ciblage plus fin.

De nombreux secteurs de la communication ont subi de plein fouet les ravages de la crise Covid. L’événementiel est le plus touché, il est totalement paralysé, aucune action événementielle n’est possible depuis l’apparition de la Covid, toutes ses activités sont à l’arrêt. L’Etat devrait venir en aide à ce secteur et ne pas le laisser à l’abandon(*). C’est une mort certaine qui l’attend, si la situation actuelle perdure. De tous les secteurs de la communication, c’est le seul qui reste encore aujourd’hui à l’arrêt. La publicité connaît une baisse sensible de ses activités, son chiffre d’affaires a volé en éclats. Les grands annonceurs ont réduit considérablement leurs budgets. Les médias classiques traversent une période difficile avec l’explosion des audiences des réseaux sociaux et de la presse numérique. Les maisons de production ont connu l’arrêt de leurs activités durant presque six mois. Les tournages des spots publicitaires et des émissions télévisées ont repris progressivement leurs activités au mois de septembre.

Les tendances…

La Covid a pris tout le monde de court, personne n’était préparé à une telle éventualité. Pendant la période de confinement, les annonceurs et leurs agences furent désemparés. Un mal pour un bien, les agences de communication ont retrouvé leur rôle de conseil, les annonceurs cherchant plus que jamais du conseil sur la conduite à tenir en termes de communication, sur les messages à déployer dans un contexte de crise inédite. Le télétravail s’est imposé de lui-même en remplacement du présentiel. Les métiers de la communication se sont adaptés rapidement au télétravail. Dans les agences, les commerciaux étaient en contact permanent avec leurs annonceurs et les créatifs validaient leurs maquettes et les messages instantanément. Chacun avait son ordinateur et son portable en main, la fluidité des rapports était appréciée de tous les acteurs. Mais cette sérénité cachait un malaise que personne ne cherchait à exprimer au grand jour. Le manque de contact physique se faisait ressentir, même si tout le monde trouvait son bonheur les premières semaines du confinement. Notre métier est basé sur la force de la communication, toutes les idées créatives ont besoin d’être exposées devant un auditoire, fût-il composé d’une ou deux personnes. On travaille pour et avec nos annonceurs, la relation de couple que nous établissons avec lui est détruite par le télétravail. Ce sentiment de manque que nous ressentions dans le télétravail était exprimé autant par nos annonceurs que par les publicitaires. A la reprise du travail en présentiel, tout le monde était soulagé et heureux de se retrouver à l’agence. Les visites de nos clients reprirent et l’exercice de notre métier fût une délivrance pour certains.

Pour les médias, en particulier la presse écrite, l’interdiction imposée par le gouvernement de cesser de paraître a été vécue comme un drame injustifié par les éditeurs de presse. Certains pseudos spécialistes ont vite enterré la presse écrite, à tort. Pour eux, ce média ne doit plus exister, l’avenir appartiendrait à la presse numérique. Plus grave encore, les journaux et magazines étaient publiés gratuitement et envoyés automatiquement à des dizaines de milliers de personnes à travers WhatsApp. Pourquoi alors les acheter, si tout le monde peut les obtenir gratuitement? Durant cette période, nous avons assisté au lancement de nouveaux supports digitaux gratuits, qui vécurent le temps éphémère d’une rose. La presse écrite comme les livres ne disparaîtront jamais, ce sont des compagnons incontournables dans la vie. Ils subiront des changements tant au niveau de la rédaction que de la présentation, pour répondre aux nouvelles attentes de lecteurs, qui sont devenus peu disponibles et attirés par les réseaux sociaux. Les annonces presse ont besoin de supports écrits pour exposer le contenu de leur message aux lecteurs. C’est un média qui reste incontournable pour de nombreux produits nécessitant d’être exposés visuellement et argumentés par un texte informatif précis et exhaustif. Paradoxalement c’est au moment même où le média classique télévision connaît plus d’impact, en voyant ses téléspectateurs augmenter considérablement en nombre, que les annonceurs réduisent leurs investissements dans ce média. Au profit du digital? Pas uniquement d’après les chiffres en notre possession. L’édition n’a pas disparu et si la télévision a beaucoup souffert dans un premier temps, elle a rebondi progressivement ces derniers mois. Certes il y a eu transfert momentané des médias classiques à une autre forme de communication instantanée et moins coûteuse, représentée aujourd’hui par le digital, mais attention il ne s’est pas opéré un véritable remplacement. Est-ce une tendance irrévocable? Je ne le pense pas, chaque média trouvera sa place après la crise, s’il arrive à s’adapter aux changements opérés durant cette période de Covid.

Les grands médias classiques ont de beaux jours devant eux, les planeurs médias ne pourront pas s’en passer, les nouveaux médias verront leur part du gâteau augmenter et nous assisterons peut-être à la naissance d’autres médias. Les cycles de naissances de nouveaux médias qui arrivent sur le marché pour remplir un vide ou satisfaire un besoin en perpétuel changement ne sont pas prêts de tarir, mais ne sont pas éternels. Les agences sont toujours à la recherche de nouveaux médias performants et peu coûteux. Le digital en fait partie aujourd’hui, comme d’autres médias avant lui. S’il y a une leçon que nous devrons tirer avec certitude de cette crise, c’est le manque de certitude, tout peut changer, tout est à découvrir, mais tout doit être vérifié et évalué, surtout contextualisé.

Les tendances qui se profilent méritent d’être étudiées et analysées. Certains parlent déjà de transformations radicales sur le plan civilisationnel, grâce à la puissance du digital et à sa faculté de répondre aux besoins de vie et de consommation d’aujourd’hui. Ce qui s’impose dans cette période de Covid comme une évidence, le sera-t-il demain? Les spécialistes et les gourous de l’intelligence artificielle auraient intérêt à se montrer moins confiants dans leurs jugements à l’emporte-pièce et à se montrer plus humbles dans leur communication avec le public.

La communication post-Covid

Bien malin celui qui se hasarderait à le faire. Croire que nous sommes impactés durablement et considérablement dans notre relation avec la consommation, la lecture, les loisirs et notre de train de vie, me paraît hasardeux. Nous évoluerons par la force des choses, notre environnement a déjà subi des changements bien avant la Covid avec la puissance des GAFA, Netflix et bientôt d’autres moyens de communication. L’être humain est passé de l’âge de la pierre à l’intelligence artificielle, il finira par dompter tous les moyens de communication qui s’offrent à lui par la sélection de ceux qui lui conviennent. Si aujourd’hui, nous sommes les marionnettes consentantes des réseaux sociaux, demain nous n’avons pas d’autre choix que de nous en libérer, pour notre bien et celui de nos enfants.

A l’heure de la reprise, les marques qui n’auront pas oublié de communiquer tout en ayant réussi à adapter leurs messages auront une longueur d’avance. Les acteurs de la communication et les annonceurs ont aujourd’hui un rôle à jouer et une responsabilité à assumer. D’abord dans l’élaboration de leur stratégie marketing, la conception de leurs messages pour faire connaître les marques à leur clientèle et surtout dans la manière de véhiculer les messages. Le ton doit être moins agressif, les promesses crédibles, la connivence avec les consommateurs doit être basée sur la sincérité, la vérité des produits et l’intérêt supérieur de l’acheteur. Cette période Covid nous a appris l’humilité, sachons la préserver, l’adopter pour toujours et ne jamais oublier que le client est roi. Ce client a besoin d’être respecté et considéré comme un partenaire indispensable. Il ne faut plus lui faire de sur-promesses mensongères, ne pas l’infantiliser en lui signifiant qu’il ne peut pas exister sans votre marque. Les créatifs peuvent le séduire mais pas le tromper, d’où la conception d’une publicité responsable, respectueuse et soucieuse de l’intérêt du consommateur. Les marques doivent défendre des causes et associer les consommateurs à ces combats. De nombreuses actions d’intérêt sociétal ont été élaborées par de nombreux annonceurs, qui ont cherché à humaniser leur marque, en venant par exemple en aide aux personnes démunies. Plusieurs annonceurs se sont regroupés pour lancer des actions humanitaires dans les quartiers populaires et dans le monde rural. L’esprit de partage et de solidarité s’est développé considérablement durant cette pandémie dans la communication des annonceurs.

La communication post-Covid ne peut être conçue sans accorder une place particulière au client, qui a été longtemps au centre des préoccupations des communicants. Il a perdu cette place de choix ces dernières années à cause d’une communication coupée de ses racines marocaines. La publicité ne peut être coupée de son milieu socioculturel pour rester en phase avec ses clients. Elle doit se réinventer en permanence, au rythme de l’évolution de la société et de ses valeurs avec un partenariat renforcé agences conseil-annonceurs.

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