La Com’ d’après? Les reco’ de Mohamed Laraki, Fondateur Geomedia

Les leçons de la crise Covid

Mohamed Laraki : Ce qui est certain, c’est que cette pandémie a déstabilisé tout l’écosystème des médias et des métiers de la communication. Entre la suspension des parutions presse, l’arrêt de l’événementiel et le désinvestissement de plusieurs annonceurs, les médias, même numériques, ont vu leur chiffre d’affaires fondre comme neige au soleil. Médias, agences de communication, agences évènementielles… cette crise n’a épargné personne dans le milieu de la communication. La majorité des annonceurs ont coupé court à toute forme de communication, d’autres ont revu leur budget à la baisse en annulant plusieurs commandes et rares sont ceux qui ont en profité pour se mettre en avant. La reprise post-confinement a aussi été très timide compte tenu d’une visibilité totalement incertaine. Toute forme d’investissement était, et est toujours, scrutée, étudiée, afin de dépenser chaque dirham à bon escient. Nous avons été particulièrement challengés sur différentes campagnes digitales. Aujourd’hui, plus que jamais, les annonceurs sont plus regardants sur le retour sur investissement d’une campagne : Le drive-to-store est au cœur des préoccupations et toute communication doit avoir pour vocation de générer du chiffre d’affaires! Le digital, étant le média qui permet de tracker au mieux les campagnes, les annonceurs se sont forcément rabattus dessus, en désinvestissant d’autres médias classiques. Cependant, il ne faut perdre de vue que chaque média à son rôle et que chacun utilise un langage qui lui est propre. En temps de crise, il est aussi important de se souvenir des fondamentaux, pour une communication efficace et efficiente, le but n’est pas de chercher le média le plus approprié mais le meilleur média-mix. La presse papier est loin d’être morte comme peuvent le clamer certains, elle s’adaptera certes aux nouvelles tendances, mais elle a largement sa place dans cet écosystème. Une presse spécialisée de qualité et de niche sera toujours appréciée et suivie par ses adeptes. Certains messages ne peuvent être véhiculés autrement, que grâce à la possibilité de développer un argumentaire propre et un aspect visuel plus élaboré, sans oublier que la rétention de l’information par le lecteur est 10 fois plus importante sur la presse écrite comparée au digital. (Source: Alliance pour les chiffres de la presse et des médias-France).

« La plupart des médias marocains ont joué un rôle exemplaire pendant la crise, Covid, malgré toutes les difficultés rencontrées, pour s’assurer de la véracité des faits rapportés et d’informer les citoyens de façon constante et transparente ».

L’un des principaux enseignements que cette crise Covid, nous aura définitivement certifié, est l’importance des médias dans leur rôle de véhiculer une information fiable et vérifiée. Et au-delà de leur pouvoir d’influence, les médias ont rassuré les citoyens en démantelant les fake news. Nous l’avons constaté, pendant le premier mois du confinement, l’audience de notre site d’information H24Info a littéralement triplé. Nos confrères, sites d’actualités, ont certainement constaté la même tendance. Pendant cette période, la soif de l’information était à son apogée, nous étions tous face à une situation totalement inédite. Se retrouver confiné du jour au lendemain, privé de toute forme de liberté avec la menace d’un virus inconnu, la suite logique était donc de s’informer au mieux pour ne pas succomber à la peur ou pire, la panique. Sur les réseaux sociaux, on pouvait lire tout et son contraire, le jugement des citoyens devait donc être basé sur des informations diversifiées, mais surtout vérifiées. La plupart des médias marocains ont joué un rôle exemplaire pendant cette crise, malgré toutes les difficultés rencontrées, pour s’assurer de la véracité des faits rapportés et d’informer les citoyens de façon constante et transparente. Et cela ne s’arrête pas à cette période en particulier, aujourd’hui encore, face à toutes les questions que les marocains se posent sur la vaccination, les médias continuent de jouer leur principal rôle d’informer et d’alimenter le débat. L’opinion publique sera ainsi forgée sur la connaissance des citoyens sur le sujet. La liberté et le pluralisme des sources d’information sont des garanties de la démocratie. Imaginez le chaos que serait la gestion de l’opinion publique, si nous étions uniquement à la merci des réseaux sociaux et autres plateformes numériques. Entre fake news partagées à foison, avis totalement mitigés de faux experts sur l’actualité et propagande organisée par certains Etats, on serait ainsi une proie facile à la prolifération de données erronées, à la manipulation, sans aucune régulation de l’information. Le nouveau ministre de tutelle (ministre de la Culture, jeunesse et sports, en charge de la communication) est plus que conscient de l’importance des médias, la preuve étant que son ministère a mis en place, en urgence, un plan efficace pour venir en aide aux professionnels du secteur. Le support de l’Etat a été salvateur pour plusieurs journaux, magazines et autres supports digitaux qui se retrouvaient dans une situation critique, sachant que la plupart des titres étaient initialement en difficulté. Une enveloppe de plus de 200 millions de dirhams a été allouée pour sauver la presse écrite et numérique, maintenir les emplois des journalistes, préserver les différents profils travaillant dans ce secteur, sans oublier les imprimeries et les sociétés de distribution.

Les tendances…

Les médias sont en crise depuis un certain temps, cette pandémie a en quelque sorte accéléré la donne. Face à une génération qui a davantage les yeux rivés sur son smartphone, la presse a pris un retard monstre à se convertir au canal digital et elle a surtout peiné à trouver un modèle économique viable laissant les Gafa s’accaparer la plus grande part des investissements publicitaires sur le digital. Cependant, le secteur de la presse ne se laisse pas abattre et de nouvelles stratégies gagnantes se profilent à travers plusieurs groupes internationaux, comme celui du New York Times, du Guardian ou du Figaro, qui ont su se réinventer depuis quelques années et diversifier leurs sources de revenus à travers différentes solutions :

-Abonnement : Tendance forte au niveau mondial, l’abonnement est encore très timide au Maroc. Le New York Times a franchi, en octobre 2020, la) barre des 7 millions d’abonnés (2 millions d’abonnés numériques en un an) et pour la première fois, le chiffre d’affaires tiré des abonnements en ligne a dépassé celui des abonnements aux éditions imprimées. Les lecteurs marocains ne sont pas encore tous prêts à payer pour accéder à l’information en ligne, mais le marché gagnerait à être éduqué pour contribuer à recevoir une information irréprochable, des enquêtes et un contenu de meilleure qualité.

-Production de contenus éditoriaux : La presse ne doit pas perdre de vue sa principale force qui est de produire du contenu pour les marques. Revenons aux bases, en proposant certes une visibilité publicitaire, mais renforcée par un contenu éditorial de qualité au service des annonceurs, chose que seule les organes de presse peuvent fournir. D’autant que ces contenus ont prouvé qu’ils étaient plus engageants que de simples bannières publicitaires.

-Exploitation de la data : Le recours à des solutions technologiques est vital pour toute la presse digitale. Les entreprises de presse vont devenir des sociétés technologiques pour réduire leur retard face aux à la connaissance pointue des Gafa sur leur audience. Mieux connaitre son audience, garantir un ciblage précis, proposer un contenu éditorial de qualité aux lecteurs-cibles, en plus de la brand safety que propose aujourd’hui les médias premiums, toutes ces solutions permettront à coup sûr de proposer des campagnes contextuelles plus engageantes et plus efficaces pour les annonceurs.

-Diversification des contenus : La production de capsules vidéo et de séries exclusivement dédiée au web peut être une belle alternative pour attirer les annonceurs classiquement orientés TV, surtout pour toucher les jeunes qui délaissent ce média traditionnel. Car élargir l’éventail des formats proposés est de mise. Plus de 70% regardent des vidéos en ligne tous les jours, un chiffre exceptionnel qui devrait pousser les producteurs de contenus à lancer des web séries ou carrément des web TV avec des formats innovants et attractifs pour les sponsors.

-Diversification hors-média : Le Figaro est l’un des groupes ayant réussi haut la main cette diversification en investissant plusieurs secteurs comme le voyage, la culture, l’assurance, la formation… De nouvelles activités qui reposent essentiellement sur la promotion digitale à travers leurs propres espaces de promotion, mais aussi grâce à leur force et caution éditoriales. Ces activités représentent déjà plus de 40% leur chiffre  d’affaires en 2019.

La communication post-Covid

La communication évolue de manière régulière et constante. Seule certitude, le recours au digital est un impératif pour l’existence des entreprises aujourd’hui et pour leur croissance. A l’ère des médias digitaux, réseaux sociaux et marketing d’influence, l’offre est tellement diversifiée qu’il va falloir apprendre à s’adapter en communiquant de façon réactive et créative afin de garder le lien avec le consommateur final. C’est indéniable, il y a un avant et un après Covid19. Les annonceurs sont aujourd’hui face à un réel tournant pour prendre les devants d’une une nouvelle forme de communication plus ciblée, plus digitalisée, mais aussi plus responsable. Plusieurs entreprises tablent sur l’émotion, l’empathie, avec un engagement sociétal pour le bien des consommateurs. RSE, consommation de produits locaux, renforcement d’image de marque, innovation… Plusieurs changements de fond sont à envisager sur l’essence même de la communication. Les marques étaient jugées auparavant sur leurs produits. Aujourd’hui, elles le sont davantage sur la base de leur réputation et leur empreinte sociétale. Dans cet élan de responsabilité, il faudrait aussi penser à contrer les Gafa qui s’accaparent la plus grande partie des recettes publicitaires digitales au Maroc et qui en contrepartie ne reversent aucun impôt et ne créent aucun emploi localement. Le démantèlement des Gafa est aujourd’hui l’une des principales préoccupations des politiques européennes et américaines, mais ce ne sera pas une mince affaire compte-tenu de leur puissance.

« L’année 2021 sera clairement celle du tracking publicitaire et de la mesure réelle du ROI sur le CA ou trafic généré. Les médias ont un coup à jouer sur le marketing à la performance sur les CSP premium grâce à la capacité de produire des contextes éditoriaux engageants pour convertir une audience captive et ciblée en une audience intéressée ».

A notre niveau, les annonceurs et les agences de communication ont aussi leur rôle à jouer en revoyant leurs investissements et leurs moyens de communication sans se laisser séduire par les multiples KPIs proposés par les Gafa, des chiffres parfois remis en cause (viewability erronée, faux nombre de clics, leads de mauvaise qualité et en inadéquation avec les profils de prospects recherchés…). Les annonceurs attendent de leurs agences digitales un véritable retour sur investissement, traduit en génération de trafic, aussi bien dans leurs sites ecommerce que dans les showrooms et magasins physiques. L’année 2021 sera clairement celle du tracking publicitaire et de la mesure réelle du ROI sur le CA ou trafic généré. Les médias ont un coup à jouer sur le marketing à la performance sur les CSP premium grâce à la capacité de produire des contextes éditoriaux engageants pour convertir une audience captive et ciblée en une audience «intéressée». L’investissement technologique est obligatoire et essentiel pour les médias pour améliorer la performance des campagnes des annonceurs : meilleure gestion de la  data de leur audience, automatisation de contenus, exploitation de l’intelligence artificielle… Mais le média ne doit pas perdre sa raison d’être première qui est celle d’informer, apporter une connaissance objective et sincère, nourrir le débat public et donner les moyens de comprendre le monde qui nous entoure. Sans oublier de créer de la proximité et du lien avec une production éditoriale de qualité et des nouveaux formats audiovisuels. Les exemples de Loopsider et Brut viennent le montrer… Des médias les plus appréciés par les jeunes générations. En parallèle, le digital est certes sous le feu des projecteurs, mais il ne faudrait pas léser les autres médias qui ont aussi leur importance dans l’univers de l’information et de l’entertainment. Le journalisme, dans sa globalité, se réinvente et chaque canal réussira à séduire son audience. En somme, en mettant le lecteur au centre de nos préoccupations, nous restons confiants sur une évolution positive des médias.

*Geomedia: Groupe plurimédia présent dans la presse numérique (H24Info, Plurielle.ma et lofficielmaroc.ma) et magazine (Plurielle et L’Officiel). Le groupe opère aussi dans la production de contenus pour tiers (G’Prod), le marketing direct (Geocible) et le marketing à la performance (Conversium).

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