Puit Tombe

Hommage à Rayan: Arrêtons de creuser notre tombe médiatique !

Mohamed Douyeb

Dur d’aligner quelques lignes au lendemain du terrible drame de la disparition de Rayan, cet enfant marocain de 5 ans, natif d’un village de la région de Chefchouen, tombé dans un puits de 32 mètres de profondeur. La douleur est tellement forte qu’il a fallu écrire dans l’espoir de trouver un semblant de soulagement et de paix. Une manière surtout de rendre ce petit un grand hommage. Pendant 5 jours, les yeux des Marocains et du reste du monde étaient rivés sur les directs transmis en ligne sur l’opération de sauvetage du jeune garçon. Une opération compliquée qui a nécessité une énorme mobilisation et une ingénierie inédite de la part des autorités dans l’espoir d’extraire Rayan sain et sauf. Le tout sous le regard d’une foule de citoyens amassés autour des lieux en guise de solidarité envers la famille de la victime et de soutien aux équipes de sauvetage.

De mémoire de journaliste, jamais un événement n’a bénéficié d’une couverture médiatique 100% digitale en direct d’une telle ampleur. Pendant des jours, Rayan a concentré toute l’attention médiatique au point d’éclipser l’ouverture des JO d’hiver de Pékin. Facebook, première plateforme sociale utilisée au Maroc, s’est transformée en un support privilégié de la transmission en direct de l’événement. Les chiffres d’audience donnent froid dans le dos. Les vidéos diffusées par des pure players ont totalisé des dizaines de millions de vues. Sans compter les directs assurés par des pseudo supports et journalistes qui se sont bousculés aux premiers rangs pour transmettre des images exclusives. Les réseaux sociaux marocains s’enflamment, commentent, s’écharpent…  La demande en information est tellement forte que les médias publics ont dépêché des équipes sur place en assurant des directs à travers leurs plateformes sociales. Des médias internationaux ont retransmis les live des médias et plateformes marocaines.

Le direct n’est pas Information

Maintenant que Rayan peut reposer en paix… la couverture médiatique de ce drame laisse un goût amer. Dramatique, pour être honnête. Rendre un grand hommage à Rayan, c’est aussi dénoncer ces horribles pratiques révélées pendant les directs de certains supports sans foi ni loi qui n’ont pas hésité à utiliser ce drame pour créer le buzz. Comme prévisible, tous les coups étaient permis pour doper l’audience à commencer par les fakenews. La désinformation s’est installée dès les premières heures des directs. Pendant que les autorités essayaient de s’organiser en termes de communication, le terrain du drame était déjà surinvesti par les chasseurs d’images. Sur les réseaux sociaux, la pression n’a cessé de monter. Face à la grande soif d’informations et de bonnes nouvelles, le sensationnalisme a pris le dessus. Pendant des jours, l’opération de sauvetage s’est transformée en un spectacle désolant. Les atteintes à l’éthique journalistique étaient nombreuses pour ne citer que ces premières images insoutenables de l’enfant Rayan coincé au fonds du puits en violation totale du sacro-saint principe du respect de la dignité humaine et de la protection des mineurs. Sans parler de la diffusion de vidéos montrant un jeune public confus et des témoignages arrachés par des sites d’information auprès de proches tourmentés.

Les journalistes et les médias professionnels le savent. Dans le flot du direct, il arrive souvent de commettre des erreurs. Il y a un principe qu’il faut respecter, celui de la bonne foi journalistique. Cette bonne foi impose de corriger et rectifier tout en demandant des excuses auprès du public, surtout lorsqu’il s’agit de la couverture d’événements dramatiques. Dans le cas de celui de Rayan, les supports en question ont exploité cet événement tragique à des fins purement mercantiles en violant, sous le regard impuissant du public, les valeurs de ce noble métier, qu’est le journalisme. Heureusement que des médias marocains sérieux et professionnels ont permis de rétablir certaines vérités, mais ils n’avaient pas autant de poids au niveau de l’audience.

Que faire maintenant ? Continuer à creuser notre tombe médiatique en fermant l’oeil sur ces pratiques ignobles. Il est temps que le Conseil national de la presse agisse ! Publier un communiqué de dénonciation, c’est bien. Il faut entamer au plus vite des procédures pour rétablir les droits d’ordre moral de Rayan et sa famille. Le cas aussi pour le Conseil national des droits de l’homme. Une chose est sûre : La responsabilité incombe au public qui doit faire preuve de vigilance et de responsabilité vis-à-vis de de ces marchands médiatiques. Dénoncer ne suffit pas. Il faut se déconnecter de ces plateformes. Jamais l’éducation aux médias et au numérique n’a été aussi urgente !

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